Prix Maya : changer la réalité par la fiction

Un article paru dans ViraGe n°19 - mars 2025
Chaque année, sous les arbres d’un boulevard de Tours, des chapiteaux fleurissent, avec des animaux pour totems et des cookies sans beurre en signe de ralliement. Clou du week-end : la remise de prix littéraires, sous le patronage symbolique d’une éléphante rescapée du cirque. Pourquoi là et pas (encore) ailleurs ? Juste avant la prochaine édition de la Vegan Place, le 28 juin, coup d’œil dans les coulisses du phénomène avec l’un de ses fondateurs, Émilien Cousin.
En 2015, Émilien est depuis quelques années déjà une personnalité aux engagements connus. Il est alors, entre autres, représentant d’EELV et militant de rue sous les couleurs de L214. Sa conviction : « la cause animale est transversale ». Ouvert et délicatement chaleureux, il cultive, avec ses camarades, un esprit de dialogue « bienveillant et inclusif », et a acquis une bonne connaissance des acteurs politiques locaux. Tours est un îlot fertile dans la région : la vie associative y est riche et multiple, et ce terreau urbain est sensible aux questions écologiques.
Mais, pour la petite équipe animaliste dont Émilien fait partie, « l’entre-soi est constaté. Alors que faire ? On avait touché les limites des happenings, on cherchait un public plus large ». C’est ainsi qu’est né le projet d’une manifestation qui attirerait au-delà des partis pris, tout en assumant le véganisme – « parce que le végane est inclusif, contrairement au fait de proposer de la viande ou des plats végétariens, on insiste beaucoup là-dessus ». La structure Educ Pop Animaliste voit le jour pour organiser l’événement, avec le soutien des partenaires militants et celui des collectivités locales. La Vegan Place rassemble associations, refuges, artistes, artisans et commerçants dans une ambiance accueillante, et propose de quoi se régaler. La première édition, en 2018, est un succès. Et pourquoi ne pas faire encore mieux ?
« Pour changer ou pour s’engager, il faut ressentir un déclic, et un roman peut le déclencher d’une manière douce »
Déclic
En lisant un mémoire consacré à la littérature animaliste, Émilien constate que les essais et les ouvrages de réflexion sur le sujet ne manquent pas, mais attirent un public déjà convaincu. C’est le communiqué de presse de La Guérilla des animaux, de Camille Brunel, qui lui met la puce à l’oreille : « le genre de livre, pourtant de grande qualité, qui n’est pas récompensé par les prix littéraires spécifiques, alors que la fiction attire un public beaucoup plus large. Pour changer ou pour s’engager, il faut ressentir un déclic, et un roman peut le déclencher d’une manière douce ».
Sous l’impulsion d’un groupe d’amis férus de lectures en tous genres, le prix Maya affiche son ambition de « mettre en valeur les ouvrages qui font avancer la cause animale ». Pas simplement des romans dont le personnage principal serait un animal, pas des textes démonstratifs, mais des œuvres choisies pour leurs qualités littéraires. Les premières années, des recherches approfondies ont été nécessaires pour établir une sélection intéressante. Aujourd’hui, les ouvrages arrivent spontanément, quoique pas systématiquement, aux organisateurs : un signe de la notoriété de la manifestation, mais surtout la confirmation que la question animale intéresse la société, et donc aussi la littérature.
Le changement est particulièrement marqué en bande dessinée : Émilien note le passage du « fascicule, qui mélangeait plusieurs idées, à de vrais récits ». La vulgarisation scientifique et l’éthologie ont fait une entrée remarquée dans les cases bédés, comme en littérature jeunesse, une catégorie qui s’est ajoutée à la sélection en 2020. Certains ouvrages se démarquent par leur originalité et des œuvres singulières voient le jour grâce à un travail qui sait sortir des sentiers battus. C’est par exemple le cas de Singes, bande dessinée grand format d’Aurel primée en 2023, qui se présente avec une déclinaison de quatre couvertures. Surtout, son éditeur Futuropolis a rendu possibles les voyages de l’auteur nécessaires à la réalisation de ce documentaire hors norme. Les maisons et les collections animalistes sont également plus nombreuses, ce qui réjouit le passionné de littérature : « on voit que les temps changent quand les gros éditeurs investissent dans cette cause, comme pour l’alimentation ! »
Liens
Le prix Maya est un lieu de rencontres : les auteurs y sont chaleureusement invités à des tables rondes, des conférences, des émissions de radio, dans un événement aussi ouvert que complet. Ces rencontres et ces coups de cœur se prolongent aussi volontiers dans des librairies de la ville, ou au festival À Tours de Bulles : le prix comme la Vegan Place s’installent dans le paysage, ainsi que le souhaitaient ses fondateurs.
Ces trois dernières années, la manifestation animaliste avait lieu le même week-end que la marche des fiertés, et « on y rencontrait le même public, écolo, féministe, intersectionnel… C’est le tournant que doit prendre le mouvement pour la cause animale, on doit lier toutes les formes de dominations » exhorte Émilien.
Les rencontres sont aussi ce qui détermine l’existence même du Prix et de la Vegan Place. Pour rejoindre le comité de sélection, ce ne sont ni une adhésion obligatoire ni un CV qui vous introniseront, mais les atomes crochus. Et une vraie proximité : les neuf membres se voient (physiquement) une fois par mois et communiquent très régulièrement sur leurs lectures. Portés par la passion et par l’engagement, ils sont surtout liés par un ciment affinitaire : « nous voulons rester un petit groupe d’amis qui font ce qu’ils aiment. »
En savoir plus
Le site permet de consulter les sélections depuis la création du prix, et de retrouver les émissions enregistrées lors de la Vegan Place.
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