Les anti-nutriments : comment neutraliser leur nocivité ?

Claire Lamboley

Un article paru dans Virage n°7 (automne 2020). Claire Lamboley est diététicienne nutritionniste, membre de la commission Nutrition-santé de l’AVF.

Tout comme les espèces animales, les espèces végétales ont développé un certain nombre de stratégies d’adaptation pour survivre face aux menaces de leur environnement.

L’un de leurs systèmes de défense le plus puissant fait intervenir des molécules, appelées les anti-nutriments, présentes dans les graines, les feuilles et les racines, qui les protègent contre la germination prématurée et contribuent à éloigner les prédateurs.
Lorsqu’on consomme des céréales, des légumineuses, des noix et des graines à l’état brut, on ingère aussi ces composés chimiques qui sont des «

facteurs anti-nutritionnels », c’est-à-dire qui interfèrent avec l’absorption des nutriments. Pour optimiser son alimentation végétale, il est donc important de chercher à en réduire les teneurs par différentes méthodes de préparation.

Les principaux anti-nutriments

Les tanins

Ces substances de la famille des polyphénols, présentes dans de nombreux aliments tels que le thé, le café, le vin et le chocolat, sont pour les plantes un moyen de défense chimique contre les microbes pathogènes et les herbivores.
Les tanins forment des complexes avec les nutriments comme les protéines ou le fer non héminique (présent principalement dans les végétaux et les produits laitiers). Ces complexes rendent l’activité des enzymes digestives plus compliquée, et diminuent donc l’absorption des nutriments. Cependant, les tanins possèdent aussi des propriétés antioxydantes puissantes, qui nous protègent des radicaux libres et donc de certaines maladies cardiovasculaires ou des cancers.
Il n’existe pas de méthode pour neutraliser l’effet des tanins sur les nutriments. En revanche, on pourra éviter de consommer des aliments et boissons sources de tanins au cours des repas riches en fer non héminique : par exemple, le thé et le café pourront être consommés 30 minutes avant le repas ou 2 à 3 heures après.

L’acide phytique

L’acide phytique est un antioxydant naturel qui se trouve principalement (80 à 90 %) dans l’enveloppe ou le son des graines des céréales, des légumineuses et des oléagineux. Il constitue la forme de stockage du phosphore et de différents minéraux (calcium, fer et zinc notamment), apports indispensables à la croissance de la plante. Lors de la germination, ces nutriments stockés sous forme de phytates sont libérés grâce à des enzymes appelées phytases.
Dans notre tube digestif, l’acide phytique est capable de former des complexes insolubles notamment avec le zinc, le calcium, le magnésium, le fer et le cuivre. Du fait de l’absence de phytase, une partie des nutriments n’est pas absorbée. Les phytates diminuent également l’activité des enzymes digestives impliquées dans la dégradation des protéines (pepsine et trypsine) et de l’amidon (amylase).

S’ils sont souvent considérés comme les principaux facteurs anti-nutritionnels, les phytates, comme les tanins, ont aussi des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires bénéfiques dans la prévention et le traitement de plusieurs maladies et cancers.
Pour limiter la présence d’acide phytique, on peut procéder par raffinage, en ôtant le son et le germe des graines pour ne garder que leur corps. Cependant, cette méthode élimine aussi de précieux nutriments et fibres. Sinon, plusieurs méthodes permettent de neutraliser partiellement l’acide phytique, et leur combinaison augmente encore la biodisponibilité des nutriments : le trempage, la fermentation et la germination, qui permettent la libération de la phytase, ainsi que la cuisson et la torréfaction.

Les lectines

C’est une famille de protéines largement présentes dans les végétaux, mais aussi dans les champignons et chez les animaux. Chez les plantes, elles constituent en quelque sorte des défenses chimiques dissuasives pour les insectes et pour d’autres animaux. On retrouve les lectines dans la grande majorité des aliments. Ceux qui en contiennent le plus sont les légumineuses, les céréales et les pseudo-céréales (quinoa et sarrasin), les solanacées (tomate, concombre, aubergine, poivron, banane, pommes de terre, etc.) et les cucurbitacées (pastèque, melon, courge, courgette, etc.).
Elles se fixent de manière spécifique à certains glucides dans différents endroits du corps – intestin, cerveau, articulations ainsi que dans tous les fluides – pour devenir des glycoprotéines.
Selon la fréquence et la quantité ingérée, elles peuvent endommager le tube digestif et créer des réactions toxiques, inflammatoires et immunitaires. Certaines personnes peuvent être génétiquement hypersensibles : c’est le cas du favisme, un déficit héréditaire fréquent de l’enzyme G6PD qui crée une réaction sévère à la consommation de fèves.
Plusieurs méthodes permettent de neutraliser les lectines : l’épluchage, l’extraction des pépins, la cuisson sous pression (conserves), le trempage et la germination de plus de 6jours (neutralisation partielle).

L’’acide oxalique

Cet acide organique est présent dans de nombreux aliments, notamment la rhubarbe, les groseilles, les fraises, l’oseille, les épinards, les haricots verts, les asperges, les blettes, le céleri, les noix, les noisettes, le son de blé et de riz, le sarrasin, l’amarante, l’arachide, le cacao et le thé noir. Une fois ingéré, l’acide oxalique se combine dans l’intestin avec différents minéraux comme le calcium, le fer et le magnésium pour former des sels insolubles, appelés oxalates, qui empêchent leur absorption.
L’absorption du calcium est inversement proportionnelle à la teneur en acide oxalique des aliments : le cresson est moins riche en calcium que les épinards mais il contient moins d’acide oxalique ; c’est pourquoi le taux de calcium absorbable du cresson est supérieur à celui des épinards.

L’acide oxalique peut être à l’origine de troubles gastro-intestinaux graves, de violentes douleurs spasmodiques, ou de la formation de lithiase rénale.
Plusieurs méthodes permettent de neutraliser l’acide oxalique :

  • Le trempage permet de réduire la teneur en oxalate total de 18 à 51 % et en oxalate soluble de 27 à 56 %.
  • La cuisson : l’ébullition permet de réduire la teneur en oxalate soluble de 30 à 87 %, et la cuisson à la vapeur de 5 à 53 %.

Les inhibiteurs d’enzymes

Une enzyme est une protéine capable de provoquer une réaction biochimique particulière dans l’organisme. Au niveau digestif, diverses enzymes – protéases, glycosidases et lipases – sont sécrétées afin de digérer les aliments en petites particules assimilables par le corps.

Toutes les graines et en particulier celles des légumineuses contiennent des inhibiteurs, qui empêchent l’action de certaines enzymes digestives et donc l’absorption des nutriments.
Plusieurs méthodes permettent de neutraliser les inhibiteurs d’enzymes : le trempage, la cuisson et la germination.

Pour conclure, retenons que si les anti-nutriments possèdent certaines propriétés antioxydantes et immunostimulantes, bénéfiques pour l’organisme, lorsqu’ils sont consommés régulièrement et en grande quantité, ils peuvent gêner la digestion et l’absorption des nutriments. On peut réduire leurs effets néfastes en variant son alimentation, en respectant les temps de trempage et de cuisson, et en recourant à la germination et la fermentation, des préparations somme toute assez simples et rapides à réaliser.

Quatre méthodes pour neutraliser les anti-nutriments

La cuisson

La cuisson est un traitement thermique qui modifie la structure physico-chimique des aliments, les rendant plus digestes. Pour la cuisson des lentilles par exemple, les inhibiteurs de trypsine peuvent être détruits à plus de 80 %, les tanins de 46 à 49 % et l’acide phytique de 30 à 41 %.

Le trempage

Immerger certains aliments dans l’eau froide permet de démarrer le processus de germination, puis de libérer la phytase, qui détruit l’acide phytique. Par un trempage de 12 heures, jusqu’à 55 % du taux de phytates du pois chiche sont réduits.
Le trempage permet en outre de diminuer le temps de cuisson nécessaire, de faciliter la digestion, d’augmenter le taux d’absorption des minéraux, et aussi d’augmenter les taux de vitamine C et B, de carotène, de minéraux et de protéines biodisponibles.

La germination

Imbiber d’eau une graine sèche au repos active sa croissance : la température et l’humidité permettent de libérer des nutriments présents dans la graine, notamment grâce à l’activation de certaines enzymes qui neutralisent les anti-nutriments (par exemple jusqu’à 55 % de la trypsine, de 4 à 16 % de l’acide phytique et jusqu’à 59 % des lectines).

La fermentation

Il s’agit de transformer des substances organiques sous l’action d’enzymes (encore appelées « ferments ») produites par des micro-organismes, levures ou bactéries. Le mode le plus intéressant pour la santé est la fermentation lactique ou lacto-fermentation, via les bactéries lactiques. Utilisée tout d’abord comme une méthode de conservation, la fermentation peut aussi améliorer les qualités nutritionnelles des aliments en réduisant le taux de certains anti-nutriments comme l’acide phytique (jusqu’à 50 %) et les lectines (jusqu’à 95 %).

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