Vers un autre modèle agricole

6 min
Élodie Vieille-Blanchard

La démarche d’agriculture végane ouvre des possibles. À la lecture des articles de ce dossier, on comprend qu’elle permet à l’échelle d’une ferme de produire de manière plus autonome et plus efficace d’un point de vue agronomique. À l’échelle d’une société, elle permet d’envisager de cultiver la nourriture des humains sans exploiter les animaux. À l’heure actuelle très minoritaire, en tout cas sous une forme revendiquée, elle apparaît comme un ferment qui permet de repenser notre modèle agricole, avec des implications majeures sur l’occupation des terres, sur l’emploi et sur la ruralité. Avec les progrès de la transition agro-alimentaire actuelle vers un modèle moins carné, nous assisterons à des changements déterminants dans ces domaines. À l’heure actuelle, nous pouvons esquisser quelques pistes pour donner à réfléchir, et pour donner confiance en un modèle moins exploiteur des animaux et des écosystèmes.

Quels paysages dans un monde sans exploitation animale ?

La conséquence première de la réduction de l’emprise de l’élevage sur l’agriculture serait une libération considérable de surfaces, dans la mesure où les productions animales occupent directement ou indirectement 75 % des surfaces agricoles de la planète. Ces surfaces pourraient être réinvesties pour produire de la nourriture pour les humains (en remplacement de la chair des animaux, qui ne serait plus consommée), mais cela serait loin de compenser la libération des terres. On pourrait aussi cultiver des agrocarburants et reforester ces surfaces, des options qui pourraient participer à une politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et qui sont envisagées dans plusieurs travaux de recherche sur le sujet.

Mais au-delà des réflexions générales se pose la question de l’évolution des paysages particuliers. Dans les pays industrialisés, les prairies abritent une biodiversité spécifique (plantes à fleurs, oiseaux…) qui s’y est abritée à mesure que l’urbanisation gagnait du terrain. Les paysages ouverts jouent également un rôle de « coupe-feu » en prévenant la diffusion des incendies sur de grands espaces. Sans avoir rien de « naturel » ou d’ancestral, puisqu’ils sont le résultat de défrichements qui remontent à quelques siècles, les paysages de pâturages sont aujourd’hui un objet d’attachement culturel. Il conviendrait de penser leur évolution à l’échelle locale, en intégrant des critères sociaux, écologiques et esthétiques, à mesure que la place des productions animales déclinerait sur nos territoires.

C’est la démarche qu’a menée la jeune architecte paysagiste Alix Gancille, dans son mémoire de fin d’études qui porte sur le territoire de la Thiérache, en Belgique, et qui propose plusieurs scénarios d’évolution pour cette zone où l’élevage est actuellement dominant. Dans le scénario « hybride » (cultures et réensauvagement), qui est présenté par l’autrice comme le plus pertinent, les cultures (maraîchage, vergers, céréales) gagnent du terrain pour nourrir la population locale, tandis qu’un peu moins d’un tiers des prairies sont conservées et converties en refuges pour les anciens animaux de rente. Par ailleurs, la moitié du territoire est maintenue à l’état de forêt ou reboisée, et les deux tiers de cette zone de forêt sont laissés en libre évolution.

Thiérarche végane 2050, scénario 3 – hybride, Alix Gancille, mémoire de Master en architecture du paysage, 2020.

Emploi et économie

Lorsqu’on débat autour du véganisme dans l’espace public, que ce soit sur un plateau de télévision ou dans une rencontre politique, la question de l’emploi agricole surgit presque immanquablement. Selon un avis communément répandu, le développement du véganisme menacerait cet emploi, ce qui serait une mauvaise chose. On peut comprendre que dans un contexte où les éleveurs sont dans une grande fragilité économique, conduisant plus d’un agriculteur par jour au suicide, il soit délicat d’aborder ces questions. Cependant, un ensemble de considérations économiques peut nous amener à voir les choses sous un angle plus optimiste.

Pour commencer, moins d’élevage ne veut pas dire moins d’emploi agricole. Selon le rapport Afterres 2050, publié en 2017 par l’association Solagro, un scénario de division par deux de la production et de la consommation de viande et de lait pourrait conduire, d’ici à 2050, à créer 125 000 emplois équivalent temps plein par rapport au scénario « tendanciel » (c’est-à-dire au scénario selon lequel nous ne mettrions rien en œuvre pour réduire cette production-consommation). Ces emplois seraient créés principalement par une transformation du modèle agricole, qui reposerait davantage que le modèle actuel sur des petites fermes, beaucoup plus créatrices d’emploi que les exploitations industrielles. Par ailleurs, les ménages, en consommant moins de viande et moins de produits transformés, pourraient réinvestir les sommes économisées dans d’autres secteurs, ce qui permettrait la création d’emplois.

Il reste que le sujet de la reconversion des éleveurs doit être abordé à l’échelle des territoires, pour penser la création d’emplois valorisants et viables économiquement. Au Royaume-Uni, la structure Refarm’d soutient la transition d’anciennes fermes d’élevage laitier vers la production de boissons à l’avoine, en leur fournissant des ressources et en les aidant à développer des débouchés pour leurs produits. En Allemagne, plusieurs dizaines de fermes, regroupées dans le réseau « Fermes de vie » sont devenues des sanctuaires pour les animaux. Et en France ? Tout reste à inventer.

 

Pour aller plus loin :

Notes

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